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Femmes du Numérique : Pour commencer, quelle est votre définition du « numérique » ?
Laura Fort : Question difficile, car le numérique a envahi tous les aspects de nos vies professionnelle et personnelle. Pour moi, fait partie du numérique toute entreprise, projet ou environnement dans lequel les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont prépondérantes.
FDN : Les femmes, une opportunité pour le numérique. Le numérique, une opportunité pour les femmes. Qu’en pensez-vous ? Pourquoi avez-vous choisi ce secteur ?
LF : Je n’ai pas l’impression qu’en soi le numérique soit particulièrement tourné vers les femmes. Mais il s‘agit d’un milieu en innovation permanente et tourné vers l’avenir. Tout est encore à créer : nouveaux usages, nouveaux métiers, nouveaux business models… Et la France peut s’enorgueillir de nombreuses success stories : Deezer, Viadeo, Leetchi, et plus récemment Front App.
C’est ce qui attire les femmes, avec d’autres personnes subissant des discriminations : cette grande liberté d’action et le sentiment que chacun a sa chance.
Pour ma part, la perspective de défricher une terre nouvelle m’a également séduite, mais c’est avant tout par passion et par engagement que je me suis lancée. Passion pour ce formidable média que sont les jeux vidéo et engagement envers les enfants et l’éducation qui pour moi est la clé du changement sociétal. « Les enfants d’aujourd’hui sont les citoyens de demain » est le credo qui est à la base du projet Debout Ludo.
FDN : Etre une femme entrepreneure, est-ce un plus ?
LF : L’avantage d’être son propre patron est que l’on décide de son emploi du temps, de sa façon de travailler et des gens avec qui on veut travailler (ou pas). Dans ce sens, on ne subit pas les inégalités hommes-femmes que l’on peut encore malheureusement trop souvent rencontrer en tant que salariée.
Il existe aussi des aides, des concours et des clubs de business destinés uniquement aux femmes. On peut discuter de l’intérêt et de l’impact de ces dispositifs de discrimination positive, mais il serait dommage de ne pas en profiter quand ils existent.
FDN : Avez-vous eu des doutes, des hésitations, ou rencontré des difficultés dans votre création d’entreprise ?
LF : Comme toute personne qui monte sa boîte, j’ai connu de gros moments de doutes. Mais il me semble nécessaire de se remettre en question pour avancer. Cela fait partie intégrante du parcours entrepreneurial.
Une des grosses difficultés pour nous est le financement, qui reste un parcours du combattant en France. Les banques ne veulent pas prendre de risques, les investisseurs sont frileux et les particuliers n’ont pas l’habitude de placer leur épargne au capital des entreprises (cela s’améliore avec les plateformes de crowdfunding).
Malgré l’ascenseur émotionnel que l’on vit dans la création et la gestion d’une entreprise, ça reste, pour moi, une aventure incroyable et une vraie source d’épanouissement. Les aspects positifs dépassent largement les points négatifs.
FDN : Présentez-nous votre projet. Comment cette idée est-elle née ? A quel besoin répondez-vous ?
LF : L’idée des contes de fées interactifs Debout Ludo est née en 2009. A l’époque, avec mon futur associé (qui est aussi mon conjoint) nous en avions assez de nos boulots respectifs. Nous avions envie de mettre en commun nos compétences professionnelles et nos passions, et de travailler ensemble.
L’idée d’associer jeux vidéo et pédagogie bienveillante est venue assez rapidement. A l’époque, il n’existait quasiment pas de jeux d’éveil numériques pour les enfants qui ne savent pas lire (il y avait le fameux Adibou !). Puis, l’iPad est sorti et nous avons tout de suite flairé le potentiel pédagogique énorme de ce nouveau support. Le concept de Debout Ludo était né : un jeu d’éveil adapté aux 3-5 ans, qui les occuperait intelligemment n’importe où et n’importe quand.
Nous nous sommes donc lancés sur le marché des jeux ludo-éducatifs mobiles en visant uniquement la tranche d’âge des maternelles. Ensuite, Debout Ludo a évolué avec les progrès technologiques et selon nos propres envies pour devenir une appli d’aide au développement cognitif et crossplatform (c’est-à-dire que la même partie peut être jouée quelle que soit la plateforme). Nous nous sommes également beaucoup formés à notre nouveau métier de chefs d’entreprise.
Aujourd’hui mon associé et moi dirigeons un tout jeune studio de jeux vidéo accompagnés de deux salariés en CDI et d’un stagiaire. Notre volonté pour les prochaines années est d’agrandir notre équipe afin de créer en interne de nouveaux jeux de développement cognitif, tout en gardant une activité secondaire de sous-traitance. Nous voulons que Studio PixMix se positionne comme un studio de jeux vidéo innovant et pérenne dans le paysage alsacien.
FDN : Au travers de votre activité professionnelle mais aussi de votre vie personnelle, comment défendez-vous l’égalité femme-homme ?
LF : Pour moi, l’égalité entre les sexes s’inscrit dans un combat égalitaire beaucoup plus large : entre les ethnies, les religions et les âges ; entre les humains et les animaux (je suis végétarienne), entre les « valides » et les handicapés... bref, entre tous les êtres vivants.
J’ai toujours profondément détesté toute forme d’injustice ou d’inégalité, c’est donc assez naturellement que je vis et me comporte en suivant ces valeurs de respect et d’égalité. C’est en quelque sorte ma charte éthique personnelle.
Le projet Debout Ludo s’inscrit également dans cette démarche. Nous y appliquons les principes de l’éducation bienveillante et non-violente pour les diffuser au plus grand nombre. Nous travaillons actuellement à intégrer au jeu des niveaux de difficulté spécifiquement conçus pour les enfants souffrants de troubles de l’apprentissage (dyslexie, dysphasie, dyspraxie, troubles de l’attention avec et sans hyperactivité). Nous voulons ainsi créer le premier outil d’aide thérapeutique qui rassemble un public atteint de troubles de l’apprentissage et un public d’enfants dits « neuro-typiques ». Nous sommes convaincus que l’un comme l’autre peuvent bénéficier de l’ensemble des outils pédagogiques que nous allons mettre en place. Le but est aussi d’abolir la frontière « handicap-valide » pour affirmer la diversité des apprentissages et des personnalités comme une richesse.
FDN : Et vous, personnellement, comment êtes-vous parvenue à concilier vie professionnelle et vie familiale ?
LF : Mon cas est un peu particulier, puisque je travaille avec mon conjoint. Nous sommes donc ensemble (presque) toute la journée !
La difficulté pour nous est plutôt de bien séparer vie privée et vie professionnelle et de ne pas tomber dans une routine. Le weekend, on essaye de faire une vraie coupure et de ne pas parler de boulot.
Que ce soit pour moi ou pour nos salariés, j’estime qu’il est primordial d’avoir une vie privée et sociale enrichissante. On ne peut pas être performant(e) si on garde tout le temps « la tête dans le guidon ». Je fais du sport au moins trois fois par semaine et ce sont des créneaux non négociables de mon emploi du temps, au même titre que mes rendez-vous professionnels. D’ailleurs c’est souvent pendant mes loisirs que je trouve des solutions et des idées pour mon travail !
Les amis et la famille occupent également une place importante. Je n’ai pas toujours beaucoup de temps à leur accorder mais je leur fais savoir que je tiens à eux par des attentions et des petits gestes symboliques.
Je n’ai pas encore d’enfants mais j’avoue que le fait d’être mon propre patron me rassure beaucoup pour la conciliation de ma vie familiale et de ma carrière.
FDN : Quel conseil donneriez-vous à une jeune femme qui hésite à travailler ou à créer son entreprise dans le secteur du numérique ?
LF : Ce conseil vaut pour les femmes et pour les hommes. Nous sommes toutes et tous des individus, uniques et complexes, avant d’être des femmes ou des hommes. Il faut toujours garder cela en tête et déconstruire les clichés de genre, qui sont d’ailleurs très variables selon les époques, les pays et les cultures, ce qui prouve qu’ils ne sont pas fondés. Même si ce message a parfois du mal à passer en ce moment, il n’y a pas de différence intrinsèque entre les deux sexes, si ce n’est les fonctions de reproduction.
Quant au numérique, c’est un secteur varié, en pleine évolution, qui participe au renouveau de la société, pas uniquement par ses usages mais aussi par les nouvelles formes d’entreprises qu’il crée : plus égalitaires, plus collaboratives, plus innovantes.
Peut-être plus que dans tout autre domaine, l’aspect humain, est pris en compte et valorisé au sein de l’entreprise. Le numérique est donc une formidable opportunité pour celles et ceux qui veulent une société plus juste et plus ouverte. Si vous faites partie de ces gens-là, lancez-vous !
Née en 1986, Laura Fort a suivi des études en audiovisuel. Elle a d’abord travaillé pendant 5 ans en Alsace en tant que régisseur son et vidéo sur des spectacles vivants (à l’Opéra National du Rhin, au Théâtre National de Strasbourg et dans des compagnies locales). Déjà dans ce premier métier, elle mêle technique et création artistique au service de causes sociales et sociétales.
En 2009, avec son associé Damien Dessagne, elle monte le projet Debout Ludo : des contes de fées interactifs pour les 3-5 ans. Plus qu’un divertissement, le but est de créer un véritable outil de développement cognitif par le jeu pour les enfants de maternelle en se basant sur les derniers travaux de recherche en neurosciences et sciences de l’éducation.
Après plusieurs années de tests et de prototypage, Laura et Damien créent en juin 2014 Studio PixMix, un studio indépendant de création de jeux vidéo mobiles, le seul en Alsace à cette date. Dès sa création, Studio PixMix compte deux salariés en CDI et divers sous-traitants. Son activité se divise entre deux projets : le développement et la maintenance de Quiz Run, une appli de quiz grand public commanditée par Studio Cadet (n°9 du Google Play Store France, catégorie divertissement en octobre 2014) ; et le développement de la version mobile et crossplatform du jeu Debout Ludo.
La première version de Debout Ludo sortira sur iOS et Android à la fin 2014 ; une levée de fonds est en cours pour financer son lancement commercial (260 000€).
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