Une proposition de loi, dont l’examen en séance publique aura lieu aujourd'hui au Sénat, vise à encadrer le recours par l’Etat aux cabinets de conseil privés. Le texte intègre pour l’instant les prestations informatiques dans son champ d’application. Or, ces prestations sont extrêmement courantes dans les administrations et n’ont pas de caractère stratégique au sens où l’entend la proposition de loi. Le secteur informatique se retrouve donc pris en otage d’une controverse politique à laquelle il est complètement étranger.

Loin d’être neutre pour le secteur, ce nouveau texte va détourner – dans un marché déjà en tension – de nombreux acteurs privés de la commande publique informatique, ce qui aura pour conséquence : 

  • De mettre en risque la sécurité numérique de l’EtatAlors que le risque cyber est exponentiel dans un contexte de fortes tensions géopolitiques, l’Etat ne peut se permettre de se priver des ressources et des compétences du secteur privé en matière de cybersécurité. A défaut, sa capacité à agir en situation de crise, par exemple en cas de cyberattaques de grande ampleur pourrait se trouver compromise ;
  • D’assécher l’offre pour le secteur publicLes nombreux prestataires informatiques de petite taille ne seront pas en mesure de se conformer au dispositif complexe envisagé par les sénateurs. Les acteurs de plus grande taille devront quant à eux supporter la charge juridique d’un volume très important de consultants soumis à ce dispositif, charge incompatible avec le déploiement de modèles agiles dans l’administration. 

Le compromis adopté par la commission des Lois du Sénat ne règle rien !

Le texte de la commission des Lois du Sénat, adopté le 12 octobre, exclut désormais du « conseil en informatique » les prestations de programmation et de maintenance.

Face aux risques soulevés pour le secteur public, une telle distinction est non seulement irréaliste avec la manière dont travaille le secteur informatique mais le remède pourrait même être pire que le mal en rendant le dispositif inapplicable et donc juridiquement instable :

  • Irréaliste car de nombreuses activités ne relèvent pas stricto sensu de la programmation et de la maintenance informatique, mais sont en réalité incluses et effectuées avec la programmation, notamment l’architecture d’une plateforme de données ou d’un système d’information, la formalisation d’une expression des besoins ou encore la mise en place d’une stratégie de tests ou de recettes pour l’évolution des grands systèmes d’information de l’Etat ;
  • Inapplicable car les prestations informatiques constituent un seul et même bloc. Cela impliquerait donc de constamment dissocier au sein des mêmes offres de prestations les activités entrant dans le champ de la loi de celles qui n’en relèvent pas, créant une forte insécurité juridique pour les prestataires.

Un risque évident de blocage de la transformation numérique des administrations

A l’heure où les enjeux de numérisation de l’Etat sont considérables – démarches administratives à distance, téléconsultations, identité numérique – le secteur public va se priver des compétences des entreprises privées qui fournissent des prestations informatiques.

Or, le secteur public a besoin des prestataires informatiques externes pour moderniser et numériser ses administrations ainsi que les procédures administratives destinées au public. Ce sont actuellement  25 à 30 000 équivalents temps plein qui travaillent sur ordre de l’Etat afin de déployer des logiciels de gestion des courriers envoyés par les usagers, des systèmes de facturation, etc. partout et sur tout le territoire.

En conséquence, Numeum appelle le législateur à exclure les prestations informatiques du champ d’application de cette proposition de loi.

3FEABEB4-B051-4AD9-9BA0-953BB2435C49
Si Numeum comprend l’exigence démocratique de transparence et de contrôle recherchée par les sénateurs, il ne faut pas que le processus de transformation numérique de l’Etat en fasse les frais. Car le texte, s’il est voté en l’état, constitue une véritable usine à gaz qui ne produira que de l’insécurité juridique et détournera les entreprises de services numériques (ESN) de la commande publique numérique. La seule solution est d’exclure l’intégralité des prestations informatiques du champ de la proposition de loi.
660F1D42-CA4A-4407-8DF1-A1FAAA459B21

Godefroy de Bentzmann et Pierre-Marie Lehucher

Co-présidents de Numeum