À l’occasion de la 27ème édition de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) qui a cette année pour thème « La transition numérique, un accélérateur pour l'emploi des personnes en situation de handicap ? », nous vous proposons de découvrir les témoignages de Margaux, Mara et Armony. Toutes trois en situation de handicap, elles nous décrivent leur rapport au travail. Comment sont-elles rentrées dans la vie active, en quoi le numérique les a aidées, que peut-on faire pour réellement faciliter   l’emploi des personnes en situation de handicap ?  Entretiens 3/3

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95 % des personnes autistes sont en situation de chômage.
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Mara Staub

Fondatrice d’Autypik

Comment avez-vous découvert votre handicap ?

 Je n’ai jamais pensé que je pouvais être autiste. J'en avais une vision très stéréotypée. Pour moi, un autiste c'était forcément quelqu'un avec des gros problèmes d'autonomie et de sociabilité. Le garçon qui se tape la tête contre les murs et qui bave ou alors le génie surdoué. Mais je savais que j'étais différente. Enfant et adolescente, j'avais des difficultés à interagir normalement avec les autres. Je ne comprenais pas les blagues de mes copains et copines, ni les codes sociaux comme se faire la bise. Quand je leur disais que je ne les comprenais pas, on me regardait très mal. Bref, j’étais toujours en décalage.

Les autres ne le percevaient pas forcément parce que je mettais un point d'honneur à être sociable, à avoir des amours, des amis. Je prenais des notes (mentales en tout cas) sur les comportements d'interaction sociale pour faire du mimétisme de façon à me situer dans la norme. En plus de ces difficultés à comprendre les codes sociaux, j'ai toujours été hypersensible. C'est très handicapant de constamment fondre en larmes ou d'être indisposée par certains bruits. Mes proches et moi, on ne s'était jamais dit que cela pouvait être expliqué par l'autisme. Ça me paraît dingue avec le recul !

Vous étiez une enfant précoce : vous avez appris à lire à 4 ans…

Effectivement, j'étais en décalage avec les personnes de mon âge et c’est justement cette précocité qui a caché mon handicap.

Quand avez-vous eu le déclic ?

Lors d’un stage de graphisme : un stage dont je rêvais dans un domaine qui me passionnait. Pourtant, j'ai vécu un enfer. Travailler dans un open-space (entre autre), cela a été les 12 travaux d’Hercule. Je passais mon temps à surcompenser socialement. Je dis souvent que le monde du travail, c'est le miroir grossissant des codes sociaux de la société. Pour les personnes qui n'ont pas les codes de façon innée comme les autistes, les difficultés y sont exacerbées. Alors que j'étais en stage, je suis tombée sur le témoignage d'une personne autiste. Elle racontait une journée type. Et là, la claque ! Je me suis dit : « C’est vraiment moi ! »

En quoi vous êtes-vous précisément reconnue dans son témoignage ?

Le fait de ne pas avoir les codes, d’être très gênée par certains fonctionnements de société. Les modes de communication propres aux neuro-typiques (majoritaire), c’est de communiquer avec de l'implicite, au second degré. Lorsque tu es autiste, tu surcompenses beaucoup pour t’adapter et à la fin de la journée, tu es épuisée. Les autistes passent leur vie à faire des burn-out. On parle d’ailleurs de burn-out autistique : à force de trop masquer, de trop se « sur-adapter », on craque. En stage, durant mes pauses déjeuner j'étais épuisée, je me prenais un sandwich que je mangeais rapidement et j'allais dormir sur un banc dans un parc.

J’imagine que votre scolarité a également été compliquée.

J’avais des bonnes notes mais c’est vrai que ce n’était pas évident. J’étais persuadée d’être vraiment conne, un mot très utilisé au collège. J’avais des amis mais j’étais incapable d’être cool. Ça n'était pas facile mais pour avoir échangé avec plein d'autres personnes autistes, je crois que je m'en suis pas mal sortie. Je n'ai pas eu une scolarité horrible. Avec le recul, je me rends compte que ma scolarité a été émaillée de burn-out autistiques. Tous les deux ans, j'étais en arrêt pour épuisement. Lorsque j'étais en 3e, on a pensé que j'avais une mononucléose, en fait c'était un burn-out autistique.

J'ai quand-même réussi à suivre une scolarité classique. En première et en Terminale L, je me suis vraiment éclatée. J'ai obtenu mon bac avec mention Très bien et vécu des moments passionnants.

C’est-à-dire ?

J’étais rythmée par mes intérêts spécifiques, à l’époque c’était mes sujets de bac en littérature et histoire des arts. C’est classique de l'autisme. Depuis le collège, j'avais une passion pour le graphisme. Comme je suis ambitieuse, j'ai tenté les grandes écoles et j'ai été reçue à l’ENSAAMA, l’École nationale supérieure des arts appliqués, rue Olivier de Serres, dans le XVe.  Sur le papier cela semblait parfait, mais durant mon BTS je me suis de nouveau écroulée. C'est à ce moment que je me suis rendu compte que j'étais vraisemblablement autiste et que j’ai entamé des démarches pour en savoir plus. À la fin de l'année, j'ai obtenu mon diagnostic de l'autisme mais pas mon BTS ! J'ai eu beaucoup de chance que mes parents me soutiennent. En France, ce parcours est très difficile. Si tu as les moyens financiers tu peux consulter en libéral et te faire diagnostiquer rapidement. En revanche, dans le public il faut trois ans de démarches. J'ai eu la chance que mes parents me soutiennent et ne trouvent pas folle mon hypothèse.

Vous dites avoir vécu la révélation du diagnostic comme un soulagement.

L'après-diagnostic est un long chemin. Moi, j'ai eu envie d'assumer ma différence. J'étais très excitée mais très vite je me suis pris des remarques « validistes » par mes proches qui banalisaient mon « handicap ». Genre « cela arrive à tout le monde », « tu n’es pas différente des autres » … J’ai eu le réflexe de revenir vers ma sur-adaptation. Je suis quelqu’un de très adapté par rapport à mes pairs. Mais aujourd’hui, je souffre encore de ne pas pouvoir laisser tomber le masque.

Comment est né votre projet professionnel de créer une plateforme RH pour les autistes, pensée par les autistes ?

Durant le confinement, j’avais fait beaucoup de recherches sur l’autisme. J’ai vite remarqué qu’il n’y avait que des présentations très négatives ou violentes comme « l’autisme est une maladie qu'il faut guérir ». Or je le rappelle, l'autisme n'est pas une maladie. Dans un premier temps, j’ai donc eu l'idée de réaliser un site de sensibilisation sur l'autisme à la fois ludique et positif, entièrement illustré. Pour réaliser ce projet, je me suis entourée de femmes autistes bénévoles. C’est là qu’est née la marque Autypik.

Puis, je suis allée chercher un business model. J’étais coincée car il était hors de question que je fasse payer les utilisateurs ou que je mette des pubs. En poursuivant mes recherches, j’ai réalisé que la vraie urgence se situait dans l’emploi : 95 % des personnes autistes sont en situation de chômage parce que les processus de recrutement et d'accueil en entreprise ne sont pas adaptés aux spectre autistique.

C’est-à-dire ?

Parce que beaucoup d’autistes comme moi mettent leur masque et utilisent leurs talents d’acteur et d'actrice lors de l’entretien d’embauche ; mais une fois en poste, tout s’écroule !

Qu’est ce qui pourrait être amélioré ?

Il y a plusieurs freins. Naturellement, on masque nos différences et nos besoins. C'est compliqué de dire dès l'entretien d’embauche : « Les gars, je ne déjeunerais jamais avec vous, parce que j'ai besoin de ma pause-déjeuner pour me ressourcer.  Et je ne peux pas travailler avec vous dans un open space ». Forcément, tu ne vas pas être recrutée. C'est difficile de l'exprimer lors de l'entretien et même une fois en poste, on ne l'exprime pas. L’objectif d’Autypik, c'est de créer un profil candidat qui joue cartes sur table dès le début. Les choses qu'on ne te conseille pas de dire habituellement, on peut les dire.

Cela implique de former les recruteurs et les entreprises.

Les personnes autistes ont un autre problème : elles ont souvent un parcours qui peut sembler décousu. Par rapport à un C. V. classique, c’est difficile à valoriser. Notre autre objectif, chez Autypik, c'est aussi de valoriser des parcours éclectiques. Montrer que derrière chaque personne, il y a une vie riche et pas uniquement une suite d'expériences professionnelles. Bon à savoir également : en général les neuroatypies s'accumulent. C'est ce que j'appelle le cocktail neurodivergent : à l'autisme, peut s'ajoute le syndrome TDAH (Trouble et déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), des troubles Dys (comme la dyslexie par exemple)…

Il faudrait presque avoir des plateformes pour les différents types de handicap ?

Oui, ce serait super ! Des solutions digitales pensées par et pour des concernés, par des designers, il y a des choses à faire ! C’est important de s’emparer des choses que l’on connait.

Quand est prévu le lancement d’Autypik ?

La plateforme sera lancée début 2024.

Vous êtes-vous mis des freins ? Avez-vous des jobs que vous auriez rêvé de faire que vous vous êtes interdit ?

Non, c'est plutôt le contraire. J'ai longtemps pensé comme beaucoup de Jeunes que j'étais capable de tout. J'ai toujours été très volontaire évidemment. C'est plutôt mon handicap qui m'a mis des freins et ça, c'est très dur à accepter. Faire le deuil d'être valide, de ne pas être aussi résistant que les autres, c'est vraiment dur. Je suis entrepreneuse mais je suis incapable de bosser 40 h par semaine comme la plupart des entrepreneurs. Ce n’est pas facile d'accepter d'être comme un vieil Iphone dont la batterie se décharge très vite. Régulièrement, encore aujourd'hui, j'arrive parfois à un tel stade d'épuisement que je n'arrive plus à parler. Pour communiquer avec mes proches, je m'exprime alors avec des mots sur des petits papiers.

Avez-vous essuyé des remarques désagréables de la part de vos collègues ?

Dans les boulots alimentaires, je me suis fait virée car j’étais parfois en arrêt maladie pour cause d’épuisement. Mais ce n’est rien par rapport à ce que me raconte ma communauté. Je me bats beaucoup pour eux.

Quel regard portent vos parents ou vos proches sur votre handicap ?

Mes parents sont très soutenants et compréhensifs. Mon petit frère est lui aussi autiste.

Avez-vous un message à faire passer aux « valides » ?

Ne pensez pas que vous pouvez comprendre l’autisme en lisant un article de blog. Pour comprendre les bases de l’autisme, je propose une formation de deux heures. On ne peut parler de l’autisme « à la légère ». Sinon on tombe dans les biais, dans les clichés. Il n’y a pas de honte à ne pas savoir , mais il est important que la France rattrape son retard de connaissance sur l’autisme, avec des informations fidèles et modernes. Moi-même, je ne savais pas tout. L’autisme c’est un spectre, il y a autant d’autismes que de personnes autistes. C’est un monde complexe, mais aussi très subtil !

En janvier prochain : https://www.autypik.com/