Alors que la Commission européenne a annoncé le lancement pour début 2023 d’une consultation sur un nouveau cadre de régulation des infrastructures de réseaux (Connectivity Infrastructure Act), Numeum rappelle que le mouvement de transformation numérique de nos sociétés et de nos entreprises doit s’accélérer et non être freiné par la création de barrières à l’innovation.

Une nouvelle contribution des fournisseurs de services numériques au financement des réseaux est actuellement avancée par certains opérateurs de télécommunications, au nom d’un « fair share ». Ce « fair share » ou faudrait-il plutôt l’appeler ce « péage numérique européen » remettrait en cause le modèle actuel de financement d’Internet, qui a déjà prouvé sa pertinence, se fonde largement sur des hypothèses fausses et pourrait avoir des effets dramatiques sur l’attractivité technologique de notre continent.

Numeum alerte les pouvoirs publics sur cette proposition et ses implications concrètes, afin qu’un débat informé puisse se tenir lors de l’ouverture de la consultation de la Commission européenne.

Remettre en cause le modèle actuel de financement d’Internet tient plus de l’idéologie que du pragmatisme : la « troisième voie européenne » montre chaque jour sa pertinence

Aujourd’hui, 97,9 % des foyers européens a accès à au moins l’une des principales technologies haut débit et 99 % sont couverts en 4G, à des prix parmi les plus bas du monde. Notre continent est par ailleurs une terre d’innovation et d’investissement pour les fournisseurs de services numériques qui viennent s’y créer ou s’y exporter : le nombre d’entreprises valorisées plus d’un milliard de dollars, les licornes, est passé de 30 en 2014 à 283 fin 2021 avec 125 nouvelles licornes créées sur la seule année dernière. Nul ne doute aujourd’hui que l’accès à Internet est l’un des moteurs de l’économie européenne et permet d’offrir de nouveaux services dans tous les secteurs, y compris en matière d’accès aux services publics.

Ces effets positifs doivent encore être renforcés et Numeum sera particulièrement attentif aux propositions de la Commission européenne en la matière. Il nous semble ainsi essentiel de réfléchir notamment à la meilleure manière de permettre l’inclusion numérique de toutes et tous, d’améliorer la qualité de l’accès à Internet là où cela est nécessaire et d’harmoniser notre législation pour faire du marché européen un véritable Digital Single Market pour nos entreprises, y compris les plus petites et les plus innovantes. Cette réflexion doit être basée sur des faits et des objectifs précis, et non sur des volontés idéologiques de mettre de nouveau à contribution certains acteurs déjà co-financeurs des réseaux. Le risque est ici de remettre en cause un modèle qui a pleinement fait la preuve de sa pertinence.

 

L’idée d’une contribution financière de certains fournisseurs de services numériques repose sur des hypothèses fausses mais pourrait avoir de réels effets de bord au détriment des utilisateurs

Numeum s’inquiète de voir ressurgir une telle proposition qui repose sur des constats biaisés et rappelle les faits. De nombreuses parties prenantes se sont également exprimées ces derniers mois contre un tel principe : associations de nombreux pays de l’Union, députés européens, acteurs de l’audiovisuel, opérateurs de télécommunication alternatifs, etc. Le réseau des régulateurs européens des communications électroniques, le BEREC, écrivait ainsi qu’ « il faudrait une justification adéquate pour mettre en œuvre toute mesure d’intervention sur le marché ».

Instaurer un « péage numérique européen » n’a pas de sens et ce pour au moins trois raisons :

  • Les fournisseurs de services numériques contribuent déjà au financement des réseaux de télécommunications : l’architecture actuelle de ces réseaux est en effet basée sur des accords de co-financement entre opérateurs de télécommunications et fournisseurs de services numériques (déploiement de câbles sous-marins, construction de serveurs de cache au plus proche des utilisateurs, etc.). Au total, ce sont en moyenne 17,9 milliards de dollars investis annuellement en Europe par ces fournisseurs. On n’assiste donc pas à des phénomènes de passager clandestin, comme certains opérateurs essayent de le montrer : le BEREC indiquait dans son rapport déjà cité plus haut que « s’il y avait effectivement eu [ces] phénomènes, cela aurait été visible dans les résultats financiers des fournisseurs d’accès à Internet et dans des alertes sur leur solidité financière, néanmoins le BEREC n’en a relevé aucun ». Une contribution supplémentaire des fournisseurs de services numériques, aux contours encore vagues, aurait donc surtout pour résultat de faire payer les mêmes entreprises deux fois. De plus, il faut rappeler que c’est la qualité des services numériques proposés qui est l’un des moteurs de l’abonnement fixe comme mobile à Internet. Sans ces services et les usages qui vont avec, Internet ne serait pas aussi attractif et plébiscité en Europe.
     
  • La croissance des usages peut être absorbée par les réseaux tels qu’ils sont dimensionnés aujourd’hui : Numeum rappelle que le secteur numérique, petites comme grandes entreprises, a toujours su faire preuve de responsabilité, notamment à l’appel de la Commission européenne en calibrant les services proposés lors des confinements sanitaires afin d’éviter une saturation des réseaux. Cette adaptation en temps de crise s’est faite sans dispositif contraignant, montrant l’adaptabilité des fournisseurs de services numériques BtoC et BtoB.  Il n’est en effet dans l’intérêt d’aucun d’entre eux de risquer de saturer les réseaux, sous peine de voir la qualité de leurs services se dégrader au détriment leurs utilisateurs. Par ailleurs, les nouvelles technologies de connexion comme la 5G qui couvre déjà 65,8 % des foyers européens, permettront d’échanger une quantité beaucoup plus importante de données sans engorgement des réseaux comme le rappelle l’Arcep. Enfin, il faut rappeler que 80 à 90 % des coûts liées aux infrastructures sont des coûts fixes, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent pas du niveau d’utilisation de la bande passante. Le BEREC rappelait encore récemment que « les coûts d’accès au réseau fixe sont peu dépendants de la demande ».
     
  • Une contribution financière supplémentaire pourrait avoir un impact dramatique sur l’écosystème d’innovation européen et les prix payés par les utilisateurs : quels critères seraient retenus si l’idée d’une contribution financière faisait son chemin ? Que ce soit le chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne, le nombre d’utilisateurs ou encore le niveau d’utilisation de la bande passante, tous comportent le risque sérieux de capturer une grande diversité d’acteurs : fournisseurs de cloud, services de jeux vidéo en ligne, plateformes de partage de vidéos, créateurs de contenus, etc. Toute la chaîne de valeur numérique pourrait ainsi être touchée à plus ou moins brève échéance. Cette contribution a donc le potentiel de créer des barrières à l’entrée pour les plus petites entreprises :  il n’y a qu’un pas vers le traitement différencié des services selon le niveau de contribution – en opposition totale aux principes de l’Internet ouvert consacrés en droit européen depuis 2015. Cela marquerait un coût d’arrêt à l’innovation et au développement de nos startups et scaleups innovantes. Enfin, le danger est que de tels coûts soient répercutés sur les utilisateurs finaux. En Corée du Sud, la mise en place d’un dispositif similaire en 2016 a eu des effets dramatiques : 1 Gb de données mobiles y est facturé plus de 12 euros, soit 7 fois plus que la moyenne européenne (1,85 euro pour 1 Gb). Dans un contexte de renchérissement des prix de l’énergie et d’inflation, qui touchent de plein fouet les particuliers comme les entreprises, un tel argument est tout simplement irresponsable.

 

Le fonctionnement et le financement actuel des réseaux démontrent chaque jour leur pertinence : ne changeons pas un modèle qui marche !

Co-financé par les pouvoirs publics, les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs de services numériques, notre Internet « à l’européenne » est capable d’accompagner l’évolution des usagers des particuliers comme des entreprises au sein d’un cadre juridique protecteur des droits des utilisateurs et garde-fous des devoirs des fournisseurs d’accès.

A l’heure où le Parlement européen vient de valider l’accord conclu avec le Conseil sur la décennie numérique 2030, programme visant notamment à garantir que 75 % des entreprises européennes utilisent des services de cloud, de big data et d’intelligence artificielle, l’atteinte de cette ambition nécessite un coup d’accélérateur et non des freins à l’innovation. Numeum sera attentif à ce que les propositions de la Commission européenne renforcent les principes de l’Internet ouvert, permettent aux plus petites entreprises innovantes de se développer dans un marché unique numérique renforcé, et ce au bénéfice de la connectivité de tous les utilisateurs européens – et qu’elles ne conduisent pas à instaurer un « péage numérique européen » aux conséquences néfastes pour notre société et notre économie.

Chiffres clés

17,9 milliards de dollars annuels

d'investissements dans les réseaux européens par les fournisseurs de services numériques

80 à 90 %

Part des coûts fixes des réseaux, qui ne dépendent pas du niveau de trafic

7 fois plus cher par Gb de données mobiles

Prix constatés du péage numérique en Corée du Sud par rapport à l'UE