Internet est l’infrastructure la plus puissante jamais créée, une source d’innovation et de solutions inépuisable dont il faut tirer partie. Par Elisabeth Bargès, Directrice Politiques Publiques Innovation, Google France.

Internet est une technologie jeune qui a pourtant d’ores et déjà généré une activité économique nouvelle et prolifique : depuis son adoption massive à la fin des années 90, une étude du BCG estime que les dépenses directes dans les services Internet ont représenté en 2010 4,1% du PIB des pays du G20. Autre fait marquant, cette dynamique n’a pas subi le ralentissement de la crise économique mondiale : entre 2004 et 2009, au sein des économies développées, McKinsey estime que les technologies Internet sont responsables d’un quart de la croissance du PIB.

Internet est l’infrastructure la plus puissante jamais créée : en permettant l’échange d’idées, l’accès à l’information, elle dote chaque individu d’une capacité d’action et de création sans précédent et lui permet de travailler avec d’autres individus, sans pour autant avoir à requérir un laisser passer ou une autorisation quelconque. Berners-Lee n’a pas demandé la permission d’inventer le web et tous les internautes n’ont pas eu besoin de lui demander de s’en servir. Ces valeurs ont fait d’Internet une source inépuisable d’innovation et de renouveau. Appliquées à nos systèmes économiques et sociaux, la force créatrice de ces valeurs pourraient générer de nouvelles solutions sans pour autant nécessiter davantage de relance budgétaire par les Etats. Il est temps d’entrer dans l’ère de l’Internet industriel.

Créer les opportunités de croissance

Dans le secteur privé, croissance économique et gains de productivité passent par l’adoption des technologies Internet. De nombreuses recherches ont montré que le récent accroissement de la différence de productivité entre les Etats-Unis et l’Europe s’explique, pour une large part, par la rapidité d’adoption et la meilleure utilisation des technologies Internet par les entreprises outre atlantique. Ainsi, une estimation évalue que l’adoption du cloud computing par les entreprises pourrait conduire à une augmentation du PIB européen comprise entre 0,1 et 0,4%. Côté grandes entreprises, l’étude, réalisée par Capgemini Consulting et le MIT, établit une réelle supériorité des entreprises qui ont accompli leur transformation numérique. Ces entreprises appelées « Digirati » dans l’étude surperforment leurs concurrentes sur le plan financier. Elles génèrent en comparaison de la moyenne de leur industrie 9% de revenus supplémentaires par employé, se révèlent 26% plus profitables, et sont mieux valorisées (+12%) par les marchés financiers. Côtés PME, l’utilisation intensive des outils numériques permet de multiplier par deux le chiffre d’affaires et les exportations. Une récente étude de General Electric montre que l’intégration du numérique dans le monde industriel pourrait générer une augmentation de 1 à 1,5 point de productivité supplémentaire. Le numérique apparait ainsi comme une formidable opportunité à la fois pour améliorer la productivité des entreprises françaises et leur apporter de nouveaux marchés.

Investir dans le capital humain

L’accès à l’éducation est inégal de par le monde. En particulier, les établissements d’enseignement supérieur prestigieux sont réservés à une élite. Le mouvement actuel de mise à disposition ouverte des contenus éducatifs sur le web permet à chacun de pouvoir y accéder quel que soit son niveau de revenus ou le lieu où il réside. Ainsi, 2012 a vu émerger une tendance de démocratisation de l’enseignement supérieur, grâce à et sur Internet. Udacity comme Coursera, deux startups qui offrent des “Massive Open Online Courses” (des cours en ligne ouverts à tous), ont été créées par des anciens enseignants de Stanford début 2012. Elles ont été rapidement suivies par Harvard et le MIT, rejointes par Berkeley, qui se sont associées pour créer une plate-forme de cours gratuits sur Internet accessibles à tous. Des programmes comme OpenCourseWare, disponibles dans des centaines de collèges et d'universités, permettent aux élèves et aux enseignants de puiser dans les ressources de certains des meilleurs établissements du monde.  Par exemple, le site OpenCourseWare du MIT a été consulté par 95 millions de visiteurs en provenance de tous les pays du monde, dont 43% sont autodidactes. L’engagement massif dans la mise à disposition des contenus éducatifs est ainsi un facteur de réductions des inégalités sociales.

Ces solutions alternatives sont disponibles pour tous les niveaux de l'éducation, comme en témoignent les plus de 3000 cours de la Khan Academy. Ces ressources peuvent aider à rendre l'éducation plus équitable en permettant aux jeunes élèves, mais aussi aux adultes, l'accès à un plus large éventail de contenus de grande qualité. Par ailleurs, les modèles mixtes, c’est-à-dire mêlant contenus en ligne et cadre traditionnel de la classe, favorisent une plus grande attention des professeurs aux difficultés et progrès de leurs élèves. Le numérique peut ainsi être un véritable levier pour engager les élèves dans la démarche pédagogique, et donc pour améliorer les résultats d'apprentissage.

Réformer le secteur public

Les difficultés économiques, les restrictions budgétaires exigent dorénavant de pouvoir fournir un niveau de service public performant tout en optimisant au maximum les dépenses, et ceci au niveau national comme au niveau local. Pensons tout d’abord aux procédures des marchés publics. Leur numérisation a par exemple permis à la Corée du Sud de réaliser 6 milliards de dollars d’économies sur un volume de  marchés publics annuels de 50 milliards, soit plus de 12%. Au niveau des villes, l’utilisation du cloud computing par Novara ville de 100 000 habitants du Nord de l’Italie lui permet d’économiser tous les ans 30 000 euros. Pour une ville comme Paris, cela pourrait représenter près de 700 000 euros d’économies annuelles ! L’exemple de la numérisation des bulletins de salaires est également éclairant : appliquée aux 5,2 millions de fiches de paie de la fonction publique, elle permettrait à l’Etat français d’économiser 70 millions d’euros par an !

En matière de services publics, des données publiques ouvertes et réutilisables sont la matière première des  entrepreneurs et des citoyens pour construire de nouveaux services civiques. En exigeant du secteur public des informations ouvertes et accessibles, les experts estiment que, dans la seule Europe, les avantages pourraient mesurer entre 140 à 180 milliards d’euros par an. Les gains d'efficacité engrangés par l'ouverture des données au public l'emportent largement sur les coûts à court terme d’investissement dans les plates-formes et les technologies pour fournir un accès aux données. Par exemple, au Danemark, en 2002, la décision fut prise de rendre la base de données nationale des adresses physiques accessible au public, à un coût minime, générant un surcroit de valeur de 62 millions d’euros pour l’économie danoise. De plus, rendre accessibles les données publiques offre également une meilleure traçabilité des politiques menées par les gouvernements et la possibilité de les évaluer. En ce sens, les politiques d’ouverture des données sont le gage d’une meilleure transparence de l’action publique qui renforce la confiance des citoyens et favorise l’engagement civique.

Le numérique est une opportunité dont il est urgent de tirer les bénéfices. S’il remet en question les modèles existants, c’est pour laisser la place à l’innovation et à une gestion plus efficace. Mettons tout en œuvre pour que la France entre avec vigueur et ambition dans l’ère de l’Internet industriel.