Découvrez le portrait d'Aurélie Jean, chercheuse au MIT.

Femmes du Numérique : En tant que femme ayant réussi dans le domaine du numérique, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercer ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?

Aurélie Jean : Je suis mécanicienne numérique de formation avec l’obtention d’un doctorat en sciences des matériaux, sur la modélisation numérique et mathématique du comportement mécanique et de la morphologie, à différentes échelles, des matériaux mous. Après avoir étudié pendant près de 7 ans numériquement les matériaux de l’humain (cœur et cerveau principalement), à l’Université d’Etat de Pennsylvanie (USA, 2009-2011) puis au Massachussetts Institute of Technology (MIT) (USA, 2011-2016), j’ai démarré une formidable aventure en tant que senior software developer à Bloomberg - NYC.  J’ai toujours eu une attirance forte vers les maths et la mécanique, et en particulier la mécanique numérique avec je l’avoue tout de même quelques facilités.

C’est par la mécanique numérique que j’ai commencé à apprendre  à coder vers l’âge de 21 ans. Un peu plus de 10 ans plus tard et 2 années de travail en étroite collaboration avec deux de mes collègues du MIT nous avons développé notre propre programme informatique destiné à résoudre numériquement des problèmes de mécanique des matériaux. Ce code est actuellement utilisé par un laboratoire de recherche de l’Armée Américaine. Quand j’ai commencé à développer des algorithmes et programmes informatiques il y avait très peu de modèles féminins contemporains… 15 ans après les choses n’ont malheureusement pas beaucoup changer, à une différence près: on encourage les filles à coder! En particulier grâce à de magnifiques campagnes de communication sur le code, ses impactes sur nos sociétés et les opportunités l’entourant. Cela étant dit je pense que les jeunes filles et femmes peuvent encore rencontrer des difficultés, en particulier à cause de l’image parfois négative, et souvent fausse, du codeur.

On a souvent peur de ce qu’on ne connait pas. De même, ces milieux restent encore très masculins et il est encore difficile de se faire une place en tant que femme, mais les choses évoluent en partie grâce au soutien des hommes et des rôles modèles féminins qui se montrent et parlent! Mon parcours démontre la variété des champs de discipline de l’algorithmique et de la programmation informatique. J’ai travaillé dans les élastomères, puis dans la médecine, j’ai fait du consulting, et à présent j’applique mes qualifications à un domaine qui m’est encore inconnu la finance de marché. Ma prochaine étape est de redonner (give it back comme disent les Américains), je veux être pour les autres jeunes filles ce rôle modèle féminin auquel je n’ai pas eu la chance d’être exposée durant mon parcours.

Je veux aider, soutenir les jeunes filles et femmes qui souhaiteraient coder, et bien plus, je souhaite parler de mon travail, ce que je fais au quotidien, communiquer aux gens sur ma vie de programmeuse afin de faire changer les mentalités sur cette discipline. On parle toujours mal des choses qu’on connait peu ou pas, je veux démocratiser le code. Je pense que tout le monde dans le futur aura une idée claire des tenants et aboutissants du code, voir saura coder au même titre que parler une seconde langue, mon rêve!

 

FDN : Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer – pour ne pas dire briller – dans ce domaine et plus particulièrement dans votre métier ?

AJ : Beaucoup d’années d’étude! (rires...) Plus sérieusement, j’ai toujours pensé que le métier que j’exerçais était paradoxalement parfait pour les femmes de par leurs qualités intrinsèques... Je dis “paradoxalement” car c’est un milieu dans lequel on ne les attend pas. Les mathématiques et l’algorithmique,  par leurs rigueurs et précisions, sont je pense des disciplines qui fittent les qualités des femmes orientées vers le détail, la structure et la discipline.

Je pense de la même manière concernant le numérique et la programmation informatique qui sont des domaines faisant fortement appel au développement d’un langage, d’une syntaxe et d’une structure logique et organisée. Cela étant dit, des qualités selon moi fondamentales et loin des compétences techniques pures, sont également associées à mon métier. Je pense à la patience et l’acharnement nécessaire pour développer des compétences en programmation qui nécessitent des années de pratique, la formation commence à la sortie de votre cursus scolaire.

C’est également une formation en continue, en cela l’endurance est cruciale pour faire un bon numéricien. Les langages évoluent, les plateformes informatiques aussi, la logique va également évoluer dans le futur passant peut être d’une logique binaire à une logique quantique. Ces changements s’accompagnent souvent de profondes modifications du langage informatique ou de l’algorithmique.

 

FDN : Quelles sont les rôles modèles et sucess stories qui vous ont inspiré au cours de votre parcours ?

AJ : Je n’ai malheureusement pas eu la chance d’avoir de rôle modèles féminins en programmation informatique mais certainement en mathématiques qui restent une discipline ancienne. Je pense à mes professeurs féminins de l’Université Pierre et Marie Curie qui m’ont donné l’envie de faire une thèse de Doctorat afin d’atteindre le plus haut niveau possible et d’avoir un esprit bien fait comme elles! (rires...)  De façon générale, j’ai de nombreux rôle modèles dans les sciences mais pas seulement; des femmes mais aussi des hommes que j’admire par leur réussite mais encore bien plus par leur manière de voir la vie, leur parcours, et leur façon de considérer les autres individus sur leur chemin. Beaucoup d’entre eux ne savent pas qu’ils représentent des modèles pour moi, chacun avec une raison particulière..

Certains sont aussi mes mentors. Ils m’écoutent, me conseillent et m’informent sur les challenges auxquels ils ont fait face et qu’ils reconnaissent dans les miens. Je pense aussi à mon grand-père féministe qui m’a toujours inspiré à travers son combat envers les femmes pour diminuer et idéalement éliminer les discriminations de genre dans les carrières professionnelles. Je dois beaucoup à mes grands-parents qui m’ont élevée et m’ont encouragée à faire ce que je désirais dans mes études ou mes choix de carrière sans aucun préjugé de genre.

J’ai également de grands personnages historiques à l’esprit (je n’ose pas vous donner une liste de peur d’en oublier!), ces femmes et ces hommes qui ont, chacun à leur manière, permis aux femmes de gagner leurs libertés et leurs droits dans des domaines longtemps uniquement destinés aux hommes… Merci!

 

Femmes du Numérique : Aujourd’hui, les femmes représentent 28 % des effectifs des entreprises du numérique en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ? Vous vivez aux Etats-Unis, le constat est-il le même ?

AJ : Je ne connais pas exactement le détail de ces 28% mais j’imagine que si on ne considère que les femmes travaillant dans des domaines de type ingénieur ou équivalent ce nombre diminue. On intègre aussi et à juste titre les femmes travaillant dans le marketing et la communication digitale. La présence encore trop faible des femmes dans les milieux techniques du numérique est le résultat de phénomènes multiples et parfois complexes. L’éducation avant tout: l’image de la place de la femme dans notre société diffère profondément selon la culture familiale.

Encore une fois je pense avoir été une privilégiée par le milieu culturellement extrêmement ouvert dans lequel j’ai grandi. C’est pour cette raison que j’aime discuter avec les parents, communiquer avec eux sur ma carrière et mon métier. Certains parents m’ont même écrit pour me remercier de les avoir convaincus de parler de code à leurs filles! Certains médias aussi propagent une image encore très superficielle des femmes se limitant à leur image physique... alors que rien n’empêche les femmes d'être attirantes et brillantes! Ce chiffre est similaire aux US je pense, les US ont été les premiers à l’origine de ces magnifiques campagnes de communication auprès des jeunes filles sur les STEM (Sciences Technology, Engineering and Mathematics) avec une forte implication du gouvernement mais aussi des entreprises (Google, Bloomberg, Facebook...), et leur action ne cesse de se renforcer. L’année dernière j’ai discuté avec des collégiennes du Kansas pour l’association Code Breakers sur les STEM et le code.

J’ai appris avec tristesse que ces jeunes filles abandonnaient les STEM au lycée car selon elles cela ne plaisait pas aux garçons! Bref nous devons être des role modèles pour elles, leur parler et leur montrer le champ des possibles… car il est grand! Enfin, pour celles qui se forment dans les STEM, elles sont encore trop nombreuses à quitter leur carrière technique et relativement tôt, les entreprises doivent comprendre ces phénomènes et créer des ambiances accueillantes et non discriminatoires pour que les femmes puissent naviguer à leur aise.

Comment augmenter ce chiffre? Je me bats pour deux solutions: des rôles modèles féminins et le mentorat, qui sont déjà largement développés aux US et qui arrivent en France. J’ai noté en France la présence de stands mentor-dating sur les conférences tech pour femmes, avec des hommes aussi, j’adore! Les femmes doivent apprendre à s’entraider davantage… nous avons je pense beaucoup à apprendre des Américaines qui sont de formidables soutiens les unes pour les autres !

 

FDN : Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans le numérique ?

AJ : Le numérique est l’avenir! Je pense en particulier à la programmation informatique qui sera le socle des innovations futures. Nous, les femmes avons un rôle à jouer dans ce domaine afin de modeler les futures technologies à notre image! Je pense aussi à toutes les opportunités entourant le code informatique: avec entre autres, un nombre d’emplois toujours grandissant dans des domaines de plus en plus variés, des salaires compétitifs, et une grande stimulation intellectuelle.

Les femmes en bondissant sur ces opportunités peuvent allier libertés financière et intellectuelle, leur permettant une plus grande indépendance autant du point de vue matériel que dans leurs choix et réflexions. N’oublions pas également: le code pousse à l’entreprenariat et aux activités libérales! Les femmes peuvent si elles le souhaitent travailler de chez elles, s’organiser à leur aise, devenir leur propre boss, de nombreuses opportunités de consulting et de création d’entreprises existent par cette discipline!

 

FDN : Pour conclure : spontanément lorsque vous entendez le mot numérique, vous pensez à quoi ?

AJ : Great Exciting Empowered Kick-ass (GEEK) Woman! (rires...)