Données industrielles : 80 % dorment encore. L’Europe peut-elle se réveiller à temps ?

Alors que l’intelligence artificielle redessine les équilibres économiques mondiaux, l’Europe risque de rester sur la touche. 80 % des données industrielles* collectées sur son territoire ne sont jamais utilisées. Pourquoi ? Parce que l’Union européenne peine encore à se doter d’un cadre clair, efficace et attractif pour valoriser ses propres ressources numériques. Un paradoxe dangereux à l’heure où l’autonomie stratégique est devenue le nouveau nerf de la guerre économique. C’est dans ce contexte que la Commission européenne prépare un tournant stratégique : la Data Union Strategy. Une initiative saluée par les professionnels du secteur, mais encore loin du compte selon Numeum, le syndicat français du numérique.
« Si l’Europe veut devenir un leader mondial, il lui faut un cap clair, lisible et orienté vers l’innovation. » — Numeum, dans sa réponse à la consultation publique de la Commission.
Une Europe qui collecte, mais n’utilise pas
Le constat est sans appel :
. 80 % des données industrielles collectées dans l’UE ne sont jamais exploitées.
. Seules 25 % des PME européennes utilisent activement l’IA ou l’analyse de données, contre près de 40 % aux États-Unis. (source : McKinsey).
. L’UE ne représente que 10 % de la capacité mondiale de traitement des données. Les États-Unis ? 53 %.
« Il y a une Europe qui régule, mais pas encore une Europe qui innove avec la donnée. » — Analyse sectorielle citée par Numeum.
Malgré des textes fondateurs comme le Data Act ou la gouvernance des données (DGA), les entreprises — notamment les PME — peinent à avancer. Le terrain est miné : règles fragmentées, définitions floues, accès limité aux données multilingues de qualité…

Le labyrinthe réglementaire décourage l’innovation
Ce sont souvent les plus petits acteurs qui s’y perdent :
. Que recouvre exactement la notion de “donnée personnelle” au regard du RGPD ?
. Comment distinguer une donnée d’usage issue d’un capteur industriel d’une donnée commerciale ?
. Pourquoi une entreprise française n’a-t-elle pas le même accès qu’une allemande à certaines données publiques ?
À ces questions, le cadre actuel ne répond pas clairement. Il freine les coopérations transfrontalières, dissuade le partage, et entretient la crainte du vol de propriété intellectuelle ou des failles de cybersécurité.
Numeum : moins de complexité, plus d’opportunités pour tous
Pour sortir de cette impasse, les professionnels du numérique réunis au sein de Numeum, appellent à une rupture. Le syndicat propose de simplifier le cadre juridique, d’harmoniser les définitions, de fusionner les textes qui se recoupent et de créer une gouvernance unifiée de la donnée à l’échelle européenne.
Dans sa réponse officielle à la Commission, Numeum propose un plan d’action :
· Développer des technologies de protection de la vie privée (PETs) permettant d’entraîner l’intelligence artificielle sans exposer de données sensibles.
· Harmoniser et simplifier la réglementation en matière de données :
Unifier les définitions de données personnelles et non personnelles à l’échelle européenne.
Fusionner certains textes ou principes réglementaires, comme e-Privacy, avec le RGPD, afin de renforcer la cohérence juridique (actuellement, plusieurs textes européens redondent sur les mêmes sujets).
· Réviser le Data Act, notamment sur :
La portabilité des données dans le cloud
La protection des secrets industriels, qui pourrait être insuffisamment garantie à ce stade.
· Soutenir la mise en application des textes récents (en particulier le Data Act), dont le potentiel est fort, mais dont certaines dispositions restent à clarifier.
· Soutenir massivement la production de données synthétiques :
Les données synthétiques sont des données artificiellement générées à l’aide d’algorithmes, souvent d’intelligence artificielle, pour reproduire les caractéristiques statistiques de données réelles. Elles permettent d’entraîner des modèles ou de faire des tests tout en limitant les risques liés à l’usage de données personnelles réelles (respect de la vie privée, conformité RGPD, etc.). Elles sont utiles notamment dans les secteurs sensibles (santé, finance, sécurité) ou en cas de faible disponibilité de données réelles.
·Encourager, tout en sécurisant, l’usage des données transfrontalières, en garantissant un niveau de confiance suffisant en matière de protection des données.
· Renforcer la gouvernance de l’IA et des données :
Clarifier les rôles entre les différentes autorités nationales : CNIL (protection des données), autorités de la concurrence, agences de cybersécurité, autorités de supervision de l’IA. Actuellement, les compétences sont fragmentées et se chevauchent, ce qui nuit à l’efficacité.
Pour Numeum, l’autonomie stratégique doit être un sujet dont se saisissent toutes les entreprises, y compris les PME, qui sont au cœur du tissu économique européen. Trop souvent mises à l’écart des grandes orientations industrielles, elles subissent de plein fouet la complexité réglementaire.
L’Europe a franchi des étapes majeures pour instaurer un cadre fondé sur la transparence et la confiance. Il est désormais essentiel de veiller à ce que ce cadre soit applicable concrètement sur le terrain, de manière réaliste et opérationnelle.
Télécharger la contribution complète de Numeum à la consultation publique sur la Data Union Strategy.
*les données industrielles sont des informations générées par les machines, capteurs, infrastructures ou logiciels dans les processus de production. Elles représentent un gisement stratégique immense. Non personnelles, mais hautement sensibles, elles sont clés pour l’innovation, la compétitivité, et surtout pour que l’Europe puisse décider de ses propres trajectoires technologiques.